dimanche 11 septembre 2016

Six dizains de Maurice Scève extraits de la Délie (Mercure de France 1974, édition de Pascal Quignard)

... Pour accompagner les derniers moments de l'impression de L'arbre le temps de Roger Giroux :

VI

Libre vivois en l'Avril de mon aage,
De cure exempt soubz celle adolescence,
Ou l'oeil, encor non expert de dommage,
Se veit surpris de la doulce presence,
Qui par sa haulte, et divine excellence
M'estonna l'Ame, et le sens tellement,
Que de ses yeulx l'archier tout bellement
Ma liberté luy à toute asservie :
Et des ce jour continuellement
En sa beaulté gist ma mort, et ma vie.


XXII 

Comme Hecaté tu me feras errer
Et vif, et mort cent ans parmy les Umbres :
Comme Diane au Ciel me resserrer,
D'ou descendis en ces mortelz encombres :
Comme regnante aux infernalles umbres
Amoindriras, ou accroistras mes peines.
          Mais comme Lune infuse dans mes veines
Celle tu fus, es, et seras DELIE,
Qu'Amour à joinct a mes pensées vaines
Si fort, que Mort jamais ne l'en deslie.


CXLIV

En toy je vis, ou que tu sois absente :
En moy je meurs, ou que soye present.
Tant loing sois tu, tousjours tu es presente :
Pour pres que soye, encores suis je absent.
            Et si nature oultragée se sent
De me veoir vivre en toy trop plus, qu'en moy :
Le hault povoir, qui ouvrant sans esmoy,
Infuse l'ame en ce mien corps passible,
La prevoyant sans son essence en soy,
En toy l'estend, comme en son plus possible.


CCLXXXVIII

Plus je poursuis par le discours des yeulx
L'art, et la main de telle pourtraicture,
Et plus j'admire, et adore les Cieulx
Accomplissantz si belle Creature,
Dont le parfaict de sa lineature
M'esmeult le sens, et l'imaginative :
Et la couleur du vif imitative
Me brule, et ard jusques a l'esprit rendre.
           Que deviendroys je en la voyant lors vive ?
Certainement je tumberois en cendre.


CCCLXII

Ne du passé la recente memoyre,
Ne du present la congneue evidence,
Et du futur, aulcunesfoys notoyre,
Ne peult en moy la sage providence :
Car sur ma foy la paour fait residence,
Paour, qu'on ne peult pour vice improperer.
            Car quand mon coeur pour vouloir prosperer
Sur l'incertain d'ouy, et non se boute,
Tousjours espere : et le trop esperer
M'esmeult souvent le vacciller du doubte.


CCCCXXI

Voulant je veulx, que mon si hault vouloir
De son bas vol s'estende a la vollée,
Ou ce mien vueil ne peut en rien valoir,
Ne la pensée, ainsi comme avolée,
Craingnant qu'en fin Fortune l'esvolée
Avec Amour pareillement volage
Vueillent voler le sens, et le fol aage,
Qui s'envolantz avec ma destinée,
Ne soubstrairont l'espoir, qui me soulage
Ma volenté sainctement obstinée.



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